Chère Madame, cher Monsieur,
« La Cour de cassation a les cartes en main. Je suis cette affaire de près. Nous restons en contact. »
Voilà comment Laurence Havel concluait son mail le 14 janvier 2020 et pourquoi je tiens à vous écrire.
La Cour de cassation a rendu sa décision dans l’affaire Sarah Halimi et vous êtes très nombreux à nous écrire à ce sujet.
Dimanche, 25 000 personnes étaient à la manifestation Place du Trocadéro à Paris, ainsi que dans plusieurs villes de France pour réclamer « Justice » pour Sarah Halimi.
La décision rendue par la Cour de cassation a déclenché de très nombreuses réactions. J’ai même assisté à des disputes de juristes. Certains expliquent que la loi est la loi, d’autres disent que la loi devrait être modifiée quand elle n’est pas adaptée…
Pour mieux comprendre, il faut se replonger dans cette terrible nuit du 4 avril 2017, quand Sarah Halimi a été tuée.
Défenestrée au cri de « Allahu Akbar »
Ce 4 avril 2017, dans le quartier de Belleville à Paris, Sarah Halimi, une dame de 65 ans est attaquée chez elle. Elle est rouée de coups et défenestrée depuis le balcon de son appartement du troisième étage au cri de « Allahu akbar » par un voisin de 27 ans, Kobili Traoré.
Qui était Sarah Halimi ? Une mère de famille de trois enfants, grand-mère, médecin de formation qui avait été toute sa vie professionnelle directrice de crèche à Paris. « Elle savait insuffler l’amour chez les enfants, leur donner de l’amour » dit d’elle l’ex-président de cette crèche.
Qui est Kobili Traoré ? Cet homme né en 1990 à Paris vient d’une famille d’origine malienne. Il arrête sa scolarité en troisième professionnelle « et s’essaie à quelques petits boulots pour finalement vivoter du RSA et de la vente de drogues. Il en planque parfois au domicile familial. C’est plus lucratif qu’être caissier chez Franprix.
D’ailleurs, dans la petite délinquance, il excelle : trafics, détention d'armes à feu, menaces de mort, conduite sans permis. À moins de trente ans, il peut se targuer d’avoir été incarcéré quatre fois : quatre condamnations pour vol, six pour violences, dont une pour avoir brûlé un individu afin de le détrousser, huit pour usage ou trafic de stupéfiants, deux pour outrage, un pour port d’arme etc. Sans compter les trente pages de mains courantes. Quel casier ! » (Noémie Halioua – L’affaire Sarah Halimi).
La nuit du meurtre, avant d’arriver chez Sarah Halimi, Traoré pénètre chez des voisins apeurés qui se barricadent dans une pièce. Il passe alors par la fenêtre pour entrer chez sa victime. Elle dort, mais il va la rouer de coups en l’insultant. Une voisine est réveillée par les cris et va appeler la police vers 4h45. Une brigade arrive et se positionne sous le balcon d’où elle verra projeter le corps de Sarah Halimi.
L’histoire est dramatique. Mais la suite est inquiétante.
Une analyse toxicologique est faite sur Traoré et l’on découvre la présence de cannabis dans son sang. Il sera interné directement sans être interrogé par la police.
Noémie Halioua a mené l’enquête pour son livre : « Au sein même de l'hôpital psychiatrique, Traoré a recommencé son commerce de drogue en promettant aux autres patients du cannabis que sa famille serait censée lui apporter pendant ses visites. Nul ne sait s’il a pu faire prospérer son petit commerce, ce que l’on sait en revanche, avec certitude, c’est qu’il a pu se droguer au sein de l'hôpital public grâce à sa soeur qui lui a apporté des “provisions” sans que cela n’ait gêné personne ».
En décembre 2019, l’enquête a eu lieu, l’instruction a été menée et la justice a rendu ses conclusions :
La Cour d’appel de Paris a jugé que le discernement de Traoré avait été aboli au moment des faits et qu’il est donc irresponsable pénalement de ses actes.
Pourtant, les experts psychiatres, sollicités pour rendre leur avis sur ce sinistre personnage, étaient en désaccord sur leurs conclusions. Nous avions alors demandé au Dr Alexandre Baratta, lui-même psychiatre et expert (proche de l’IPJ et non atteint par l’idéologie qui fait beaucoup de mal chez nombre de ses confrères), de nous expliquer qui décide dans ce genre de situation.
« J’ai moi-même été confronté à des cas similaires dans ma pratique expertale. Et pas qu’une fois. De façon générale, il faut qu’il y ait 2 conditions réunies pour retenir une abolition du discernement :
| • | L’existence d’une maladie mentale. Dans 90% des cas il s’agit d’une schizophrénie, cela peut aussi être une psychose paranoïaque ou un trouble bipolaire décompensé. Le cas d’un trouble psychotique aigu secondaire causé par l’ingestion délibérée de cannabis pose problème dans la mesure où il y a eu prise volontaire d’un stupéfiant.
| | • | Un lien direct et exclusif entre la maladie mentale et le passage à l’acte qui lui est reproché. | Dans bien des cas, les experts ne sont pas d’accord entre altération et abolition du discernement. Celui qui a le dernier mot est :
| • | Soit le magistrat instructeur dans le cadre de la mise en examen : les experts vont chacun plaider leur analyse critique devant la chambre de l’instruction composée de 3 juges d’instruction.
| | • | Soit la Cour d’assises si le sujet arrive jusque-là, c’est alors au jury populaire de choisir quel expert était le plus convaincant. | Dans tous les cas, ce n’est pas forcément l’expert le plus compétent qui est suivi, mais celui qui est le plus convaincant lors de sa déposition… »
Et en effet, Me Gilles-William Goldnadel qui est l’avocat de partie civile dans cette affaire ne contredira pas le Dr Baratta.
« Il y a un premier expert qui a dit que Traoré était accessible à un jugement pénal et un second expert qui a considéré que puisqu’il avait pris une dose massive de cannabis, son jugement avait été faussé et il ne serait pas accessible à un jugement pénal…
La juge d’instruction a préféré la version expertale qui lui allait le mieux et pour aller encore plus dans son sens puisqu’il était irresponsable pénalement, il ne pourrait être ni islamiste, ni antisémite ni ce que vous voulez ». (Bd Voltaire).
C’est à cause de cette décision prise par la chambre de l’instruction que les avocats des parties civiles avaient annoncé un pourvoi en cassation.
« Il existe une jurisprudence de la Cour de cassation qui explique que lorsqu’il y a deux experts qui sont d’un avis contraire, c’est à la cour d’assises de statuer sur la question de l’irresponsabilité pénale » (Me Goldnadel).
Pourtant, la semaine dernière, la Cour de cassation a confirmé l’irresponsabilité pénale du meurtrier … tout en entérinant le caractère antisémite du crime. Il n’y aura donc pas de procès devant une Cour d’assises pour Kobili Traoré.
Comment comprendre une telle décision ? On peut être irresponsable de ses actes mais agir par antisémitisme ? Le crime peut être antisémite mais pas le criminel ?
D’ailleurs, au sommet même de l’État, cette décision a semé le trouble. Emmanuel Macron a demandé à son ministre de la Justice de préparer un projet de loi pour « combler un vide juridique ».
« Décider de prendre des stupéfiants et devenir alors “comme fou” ne devrait pas, à mes yeux, supprimer votre responsabilité pénale. » Une fois n’est pas coutume mais je suis d’accord avec notre Président.
Concrètement, maintenant que l’irresponsabilité pénale est maintenue pour Traoré, que va-t-il advenir de lui ?
Réponse du Dr Baratta : « Lorsqu’une irresponsabilité est déclarée : le sujet est hospitalisé en psychiatrie sous contrainte en SDRE, jusqu’au jour où son psychiatre traitant estime qu’il n’est plus dangereux et demande sa sortie.
J’ai déjà eu le cas, par le passé, d’un homme ayant tué sa compagne à la carabine. Non-lieu psychiatrique du fait d’une maladie mentale, il était dehors 2 ans seulement après son homicide… Il avait été ré-hospitalisé après avoir agressé sa nouvelle compagne à coups de couteaux. »
Et c’est aussi ce que redoute Me Goldnadel dans son entretien avec Boulevard Voltaire :
« Traoré est en pleine forme, je lui ai fait dire à l’audience de la chambre d’instruction qu’il était accessible au jugement pénal, il est accessible, il est sevré. »
Me Szpiner l’avait annoncé, « la cour a créé une “jurisprudence Sarah Halimi“, c'est-à-dire que toute personne qui sera atteinte d'une bouffée délirante parce qu'elle a consommé des substances illicites et dangereuses pour la santé se verra exonérée de sa responsabilité pénale ».
Impossible de ne pas penser aux chauffards qui fument des joints et qui fauchent des piétons.
Comment y voir là une décision de justice rendue au nom du peuple français ?
Depuis quelques jours, les bonnes âmes qui écument les plateaux de télévision n’ont de cesse de nous expliquer qu’il ne faut pas « légiférer dans l’urgence et sous le coup de l’émotion ».
Je pense au contraire que cette récente décision de justice montre bien que la loi n’est pas adaptée et qu’elle doit être modifiée. J’espère que le projet de loi qu’Éric Dupond-Moretti présentera fin mai en Conseil des ministres sera à la hauteur.
La double peine pour les victimes est inacceptable et doit cesser au plus vite. Comptez sur moi pour y veiller.
Avec tout mon dévouement,
Axelle Theillier Présidente de l’IPJ
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